Quelque part dans la nuit des chiens de Sandrine Bourguignon

Quelque part dans la nuit des chiens de Sandrine Bourguignon

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Ellane92, le 22 novembre 2012 (Boulogne-Billancourt, Inscrite le 26 avril 2012, 50 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 550ème position).
Visites : 4 293 

Il n'y a plus rien

Claire est psy dans l’équipe de jour d’un hôpital psychiatrique, situé entre un camp (illégal) de Roms et un cimetière. A bientôt 40 ans, elle s’investit beaucoup auprès de ceux dont elle a la charge, et vit plus ou moins avec Pierre, peintre et militant, qui part régulièrement soutenir les « grandes causes » humanitaires. C’est alors qu’arrive un nouveau « pensionnaire », Antony, jeune homme de 19 ans (l’âge de l’enfant qu’elle n’a pas eu), interné pour avoir menacé sa mère avec un couteau (« comment couper le cordon autrement. »). Alors cet enfant-là, elle veut le sauver, quitte à outrepasser sa fonction, sa formation.

C’est difficile de dire en quelques lignes tout le bien que je pense de cet ouvrage. J’ai vraiment adoré, le style, le rythme, l’histoire, les personnages, tout. J’ai replongé le nez dedans pour citer quelques passages, et me suis retrouvée en train de le relire, avec le même plaisir et la même stupeur que la première fois.
Sandrine Bourguignon écrit cette histoire tout en pudeur, en retenue, sans cri, en douceur, dans un style éminemment poétique. L’ouvrage n’est pas structuré en chapitres. Les phrases sont posées, proposées, les unes à la suite des autres, il manque parfois des mots de liaison ou des signes de ponctuation. Le résultat en est la connexion entre 2 mots, pour leur sonorité, pour leur sens : « Claire a frémi tremblé failli défaillir ». Les paragraphes forment une suite d’associations avec un fil directeur pas vraiment académique :
« Dans la salle commune, les patients attendent comme des miettes.
Claire aime bien le pain perdu, elle se mettrait volontiers à table mais le Cyclope lui barre la route.
Vous ne passerez pas madame.
Vous n'irez nulle part, où qu'on aille on est encore ici.
L'hospitalisation du Cyclope n'a ni début ni fin.
Il tient debout depuis toutes ces années du haut de ses deux mètres, avec son quintal et ses cheveux blancs filasse de fille dans son catogan toujours sale. Il a un bandeau sur l'œil gauche pour cacher son orbite vide, le trou de la sécu comme il dit puisqu'il n'a pas les moyens de se payer une prothèse oculaire.
Je n'ai peut-être qu'un œil, mais j'ai une longue vue.
Alors je vous le répète, vous n'irez nulle part où qu'on aille on est encore ici.
Le Cyclope a toujours les mots qu'il faut.
Ceux qui coincent et qu'il faut bien avaler.
Claire déglutit. »


Claire laisse, tant qu’elle le peut, de la place à ses patients, du silence, une présence. Et on a l’impression que l’auteure fait la même chose. Au travers de cette écriture, le roman se lit comme on parle, presque à haute voix, et un rythme se crée, comme on psalmodie, laissant la place au lecteur de se projeter sur le texte, avec ses propres idées, associations, connexions. Les mots entrent en résonance avec nos émotions. Ses personnages, Monsieur Zed, le Cyclope, Fatima, Papillon, toutes ces intimités brisées qu’elle croise, sonnent juste (d’après le 4ème de couverture, l’auteure « anime des ateliers d’écritures dans diverses institutions psychiatriques »).
Et au milieu de cette histoire qui nous entraine par son rythme, sa légèreté de style et sa profondeur de propos, des phrases en gras, pleines de démagogie, de chiffres, de mesures, de factuel rationalisant, agressent nos yeux et heurtent la lecture. Ce sont des extrait d’un discours sur « l’asile sécuritaire » dont on saura pour quoi et par qui il a été prononcé à la fin de l’ouvrage. J’ai quand même envie de dire que ce discours a été prononcé à Antony… bien sûr. L’alternance des tons, des propos, agit comme des chocs.
L’ensemble forme un tout sombre et sublime, désespérant mais sobrement révoltant, triste mais si magnifique.

A noter, le titre du livre, qui m’a pas mal intrigué au départ, est tiré d’une chanson de Léo Ferré intitulée « Il n’y a plus rien ».

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

  • Quelque part dans la nuit des chiens [Texte imprimé] Sandrine Bourguignon
    de Bourguignon, Sandrine
    Sulliver / Littératures actuelles
    ISBN : 9782351220894 ; 14,00 € ; 18/10/2012 ; 160 p. Broché
»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

Combler les maux de l'âme

8 étoiles

Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 5 juin 2015

Ce livre est dur, son message est fort, mais il s'avère également chargé de tendresse, de la bienveillance soucieuse des praticiens des services psychiatriques envers leurs patients.
Le style m'a dérouté, par son aspect, mais il retranscrit bien l'état d'esprit, la fragilité des patients, la précarité des agents qui les entourent, qui est presque le sujet central du livre. Cet appel à l'aide fait écho à un plan d'aide lancé par le Président de la République, à l'origine de la loi Hôpital Patient Santé Territoire, de 2009. L'allocation présidentielle est retranscrite par extraits successifs en gras, le long du roman.

Cette lecture est très rude, mais nécessaire. Les patients ne sont pas responsables de leur état.

Forums: Quelque part dans la nuit des chiens

Il n'y a pas encore de discussion autour de "Quelque part dans la nuit des chiens".