Ma mère, musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977 au mouroir mémorial à Manhattan de Louis Wolfson
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
Moyenne des notes :
(basée sur 2 avis)
Cote pondérée :
(23 750ème position).
Visites : 4 253
Louis Wolfson: « Les Grecs disaient que le plus grand bonheur qui puisse échoir à un homme, c’est de ne pas être né. – Nous avons eu la poisse »
Publié le 24 mars 2013 par founon.blog.lemonde.fr
Malgré ses excès langagiers, liés à une misanthropie excessive et à une paranoïa dans tous ses états, je crois que ce livre de Wolfson nous dit "comment dire d’où ou de quoi nous provenons, ou où, vers quoi nous allons".
Difficile d’imaginer ce que peut être ce livre si on n’en a pas entendu parler, et surtout si on sait seulement ceci : l’auteur, diagnostiqué schizophrène tout jeune, a été placé en institut psychiatrique par sa mère, y a subi des électrochocs, et en a souffert à un point qu’il refuse de parler et même d’écouter sa langue maternelle (l’anglais) et qu’il manifeste pour l’humanité une méfiance extrême. On le dit paranoïaque. Voilà tout ce que je savais en amorçant cette lecture. Ah j’oubliais, il a une addiction aux courses de chevaux.
J’avais aussi lu ceci : « L’œuvre qui ravive le sens qu’a pour nous la littérature, qui nous donne un sentiment nouveau de ce que la littérature peut être, est l’œuvre qui transforme notre vie ». Un critique New-yorkais qualifiait ainsi le premier livre de Wolfson « Le Schizo et les langues ». Alors, ce critique plaçait la barre bien haute, pour moi et je me demandais si ce deuxième livre serait à la hauteur.
Je le dis tout de suite : ce livre m’a plu aussitôt.
Nous entrons dans son monde assez facilement, dès les premières pages. Il nous interpelle, c’est drôle de le dire ainsi, mais nous entrons dans un monde à part, le sien, très intime, très préoccupé, - nous partageons son inquiétude qui occupe notre esprit dès les premières pages - un monde qui a l’air de n’avoir que deux aspects, ou plutôt, ou qui ne rencontre que deux obsessions majeures, pour lui, à cette période de sa vie : - les paris aux courses de chevaux, - et sa mère qui se meurt d’un cancer (sorte de chronique attentive d'une mort annoncée et à laquelle il ne veut pas croire, pas tout à fait en tous les cas).
Ainsi, Wolfson nous amène aux courses, et surtout, nous fait partager ses calculs et prévisions - des élucubrations des plus fantaisistes - sur ses chances de gagner. Dans l’autre volet majeur de ce récit autobiographique, Wolfson nous amène régulièrement auprès de sa mère, à la maison, ou dans sa chambre d’hôpital ou dans les salles d’examen. En fait, il prend prétexte des notes prises par sa mère au long de sa maladie, celles-ci forment la trame temporelle de son texte. Le procédé littéraire est intéressant : il suit le même parcours (les dates des rencontres de sa mère avec ses médecins) et présente ce que lui, à cette époque faisait, et aussi, ce qu’il pensait de tout cela (sa mère tient des notes très concrètes des interventions et rencontres et examens qu’elle a subis). Ainsi, dès les premières pages, nous sommes fixés, nous alternerons entre ces deux mondes, qu’il introduit ainsi : « Et, en plus des sacrés canassons, c’est le cancer dont il doit s’agir dans ce témoignage, quoique plutôt celui de ma mère et un peu aussi celui, cas horrible ! dont est atteinte la planète bleue, la troisième de notre système solaire, la Terre ».
Voilà – j’oubliais - sa troisième obsession : cette terre maudite dont il appelle la destruction tout au long de ce livre. « J’y trouvais un certain réconfort, quoique bien trop précaire, dans le fait qu’on construisait toujours des bombes atomiques et thermonucléaires, nonobstant les myriades de détracteurs tous aveugles et qu’on serait peut-être, après tout, en mesure de réussir un suicide collectif complet avant que ne dût commencer encore un autre millénaire de tortures ici-bas ».
Mais ce qui frappe le plus, et très tôt, c’est l’écriture de Wolfson. D’abord, il faut le souligner, Wolfson écrit en français, une langue d’adoption comme le sont le russe, l’allemand, le yiddish, l’espagnol, des langues qu’il a aussi apprises. Ces langues qu’il apprend de façon intensive sont des remplaçantes de l’anglais qu’il abhorre ; il s’affranchit ainsi d’un monde (cette société américaine, sa langue anglaise, son contexte psychiatrique – en mots – qui l’on marqué cruellement), en fait il prend alors des « libertés », non seulement avec la langue, mais aussi avec la morale, avec toute idée, mots, pratiques... dits politiquement corrects. Mais cette langue française qu’il écrit si bien, et surtout, de façon très originale, - on dit qu'il respecte la syntaxe, moi, je ne connais pas bien la syntaxe, alors! - est pourtant parsemée de fulgurances, et surtout d’exagérations véhémentes que dans un autre livre nous (les lecteurs) n’accepterions pas. Mais là, avec ce texte, nous sommes touchés, peut-être étais-je marqué par ce que je savais avant de le lire – il est schizophrène et paranoïaque - cela ne l’autorise-t-il pas à des débordements ? Ainsi, quand il diatribe tant contre un führer, que contre Obama, tant contre Luther King que contre Castro, tant contre Kissinger, que contre Jacqueline Kennedy, tant contre les « niggers » que contre les « juifs », il utilise une langue acerbe, mordante, obsédante, violente, tourmentée, et souvent, insultante (raciste souvent). Ainsi Kissinger est un « sale putain de juif », Jimmy Carter, « cet infecte salaud baptiste », qui a les mêmes initiales que « Jésus Christ, un être dont certains doutent même le passage terrestre », ou encore que « Jules César, un précurseur du Führer et du IIIe millénaire ». Il n’épargne personne, ainsi les infirmières qui soignent sa mère. « De mon côté, aller visiter à l’hôpital était d’autant plus répugnant que j’avais l’idée fixe du scandale du rôle des infirmières comme enculeuses violatrices ». Faut-il ajouter que Wolfson, très jeune, s’était promis de ne jamais mettre les pieds dans un hôpital pour visiter le cas échéant sa mère malade (cette mère qui l’avait mis « dans un asile de fous »; il n'oublie pas).
Il raconte, il dit tout, oui, il dit tout ce qu’il pense et fait, et il est féroce. Il sait qu’il est malade, il connaît bien le diagnostic qui lui est collé : la schizophrénie, il connaît bien ses phobies extrêmes : contre les « niggers » (en particulier les chauffeurs de taxi, ces « grosses boules de graisse, de muscle et de merde »), contre les « juifs », contre les infirmières du sud du Bronx, noires ou porto-ricaines, ces « enculeuses noires », contre le médecin de sa mère, ce « salopard sépharade »... Quand on croit que ses mots ont dépassé la décence, il en remet une couche car, comme il l’écrit, « j’éprouvais toujours le besoin d’être très paranoïaque ».
Il se sait aussi très méfiant, et méfiant de tout, comme de cette maladie, le cancer, qui met à mort lentement sa mère, une mort qui tarde, et qu’il retarde – il ne croit jamais vraiment qu’elle va mourir – une mort qu’il tente d’exorciser, de soustraire à la réalité, quand il fait venir de nombreuses publications sur cette maladie, qu’il lit avec passion – des livres allemands surtout - et avec un souci systématique de percer des possibilités de vaincre la maladie, et qui lui donnent des arguments quand il rencontre les médecins - ces enculés dont il aimerait « claquer les sphincters anaux » – car il conteste sans arrêt leur diagnostic « final », la mort. Il se bat contre cette mort annoncée, mais qui ne vient pas ; à la dernière minute, à la dernière seconde, il croit encore que sa mère va vivre... qu’elle va ressusciter même.
Ah oui, il faut le dire, ce texte qui vient de paraître (Éditions Attila, 2012) a été révisé en 2011, soit 27 ans après sa première parution. On dit qu’il n’a rien enlevé... pas de rétractations, les injures demeurent... que des ajouts, d’autres imprécations, ainsi tant contre « Poutine, putain de Poutine », que contre Obama, celui que les électeurs américains, « pris d’un énorme coup de folie collectif, honteux, mettraient dans la Maison Blanche (devenue donc Noire) « Insane Hussein » (Hussein le Fou – « niggerness – négritude) ».
Lorsque Wolfson va aux courses, pratiquement tous les jours, il joue et mise selon des calculs qui tiennent de l’incroyable, disons plutôt, d’un esprit tourmenté qui jongle avec les chiffres, avec le hasard, ou avec des états de situations. Ainsi un jour que Golda Meir, cette « fameuse ex-Ukrainienne et ex-Américaine – devenue première Israélienne », est en visite à New York, il décide de miser tout ce qu’il a sur un cheval « Nobel Welcome » (pour lui souhaiter la bienvenue), s’imaginant revenir les poches pleines. Mais comme il a tout perdu : « Peut-être que cette maudite Golda n’est même pas dans la métropole après tout, méditai-je ». Voilà, il en est ainsi à chaque fois qu’il perd ; il a toujours une petite explication.
Une autre fois, c‘est un 24 juin (fête de la Saint-Jean), le jour de la fête des Québécois et Wolfson se rappelle que l’année précédente des coureurs québécois avaient tout raflé. Alors, il croit fermement ce soir-là que Steady Brave, conduit par un Québécois, va, comme il l ‘écrit, « faire honneur à la Belle Province » ; et bien non, la victoire lui a fait faux bond encore une fois.
Il y a dans ce livre des Moments d’écriture que je trouve d’une très grande valeur – je n’ose dire le mot sublime - : exprimés comme ils le sont, je vois de la gravité, de l’humour un peu féroce parfois, une grande valeur morale (qui frôle l’amorale) – c’est saisissant – et aussi une valeur sociétale esthétique douteuse (mais que je trouve remarquable parce qu’exprimant une désaffection et un désamour pour l’humanité qui peuvent choquer mais qui osent dire cette réalité pessimiste que je trouve écrite noir sur blanc chaque jour quand je lis les quotidiens). Ainsi... ces trois extraits- des bijoux - (dans une écriture si complexe, si « torturée », on frise le délire souvent...) un peu longs, bien sûr. Mais j’aime garder en « mémoire écrite », et dans ce blog, ces trois passages qui éclairent le personnage, - le malade, l’écrivain, l’intellectuel, et sa pensée, et sa psychologie -, au-delà de toute définition... (suite dans le Blog de Don Quichotte)
Les éditions
-
Ma mère musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille 977 au mouroir Memorial à Manhattan [Texte imprimé] Louis Wolfson
de Wolfson, Louis
Attila
ISBN : 9782917084472 ; 19,00 € ; 03/05/2012 ; 301 p. Broché
Les livres liés
Pas de série ou de livres liés. Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série
Les critiques éclairs (1)
» Enregistrez-vous pour publier une critique éclair!
Le journal d'une autre
Critique de Stavroguine (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 41 ans) - 23 mai 2014
Son second ouvrage au titre interminable, Ma mère, musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977 au mouroir Memorial à Manhattan, aussi rédigé en français dans les années 80 et récemment re-publié chez Attila (désormais Le Tripode) est un récit d’un autre genre. Il se présente comme un journal, et même comme le journal d’un autre. En effet, Wolfson emprunte les brèves notes que sa mère a laissées entre novembre 1975 — quand on lui diagnostique un cancer de l’utérus — et mai 1977 — quand elle en meurt — pour se raconter lui selon sa chronologie à elle. Le procédé a quelque chose de génial : il met en rapport et fait cohabiter les événements les plus triviaux et les faits les plus graves. Ainsi, tandis que sa mère, laconique, note les dates et l’objet de ses différentes opérations, le fils, de son côté, raconte par le menu ses visites à l’hippodrome où il se rend régulièrement pour dilapider sa modeste pension d’invalidité dans des paris abracadabrants. Qu’on imagine un récit de guerre dans lequel le narrateur nous raconterait que, le 6 juin 1944, il s’est promené au bord d’un lac, ou a mangé une poire, sans jamais nous parler de batailles et de mort : c’est à peu près l’effet que produit ce journal de l’agonie d’une autre.
Or, voilà précisément ce qui frappe : comme la vie continue, modeste et routinière, indifférente au tragique des événements l’entourant. La maladie de Rose, parce qu’elle dure trop longtemps, devient un parfait non-évènement, comme ces conflits du Proche Orient qui s’enlisent et dont on s’indiffère : l’essentiel n’est pas là, semble affirmer Wolfson, et on ne peut qu’y souscrire. Sur le rabat, une phrase de Paul Auster à propos d’un des livres de Wolfson affirme que c’est « une de ces oeuvres rares qui peuvent modifier notre perception du monde ». C’est exactement cela.
Une autre phrase, de Pontalis, s’étonne sur le même rabat : « Comme il sait invoquer sa “folie” pour parvenir à ses fins ! », et c’est tout à fait cela aussi. Car non seulement Wolfson joue de son apparente incapacité à distinguer l’important du banal pour nous faire nous interroger — pourquoi l’agonie de Rose serait plus importante qu’une course de chevaux, pourquoi mériterait-elle qu’on s’y intéresse plus longuement ? après tout, elle ne fait que mourir ; il n’y a rien de plus commun —, mais il en profite aussi pour se couvrir de la folie comme on brandit une excuse pour justifier le personnage plutôt exécrable qu’il incarne dans son livre. Louis Wolfson, en effet, est semblable à nombre de ces anti-héros que l’on rencontre trop souvent dans une certaine littérature américaine. Il est raciste, paranoïaque, névrosé… mais tous ces excès qui rendraient insupportable n’importe quel personnage de fiction, ici sont acceptables au seul prétexte que c’est vrai : l’auteur est fou. Quoiqu’on s’offusque, on lui pardonne donc de traiter de « sale nigger » le chauffeur de bus qui le ramène chez lui, on s’amuse de sa haine des infirmières qui violent leurs patients « analement, rectalement, et ça impunément », et l’on se prend même à se passionner pour ces courses de chevaux sur lesquelles il parie tantôt sur Noble Welcome quand une ministre israélienne visite les Etats-Unis, tantôt sur Steady Brave pour une fête commémorative, ou bien encore pour les jockeys québecois quand approche le jour de l’indépendance du Québec, sans jamais tenir compte des cotes ou d’autres critères plus scientifiques.
A force se dessinent les traits d’un personnage aussi énervant que profondément touchant. Mû par ses trois obsessions — les courses, sa haine de médecins en qui il n’a aucune confiance (il se persuade qu’un peu d’exercice aidera mieux sa mère que toutes leurs chimiothérapies) et la destruction atomique de la terre — qui l’occupent beaucoup, il trouve encore le temps de se plonger dans d’épais volumes de médecine, comme s’il commençait des études d’oncologie et espérait ainsi sauver sa mère. Avec une sorte d’intime détachement, il évoque ses rapports à celle-ci, à son beau-père, et à un monde qu’il ne perçoit jamais qu’à travers les écouteurs stéthoscopiques du walkman qu’il écoute en permanence pour ne pas entendre cette langue qui le rend fou. Il est comme en-dehors, quand bien même il devrait être le plus concerné. Et c’est cette capacité d’abstraction, bien involontaire prétend-il, qui nous permet de porter nous aussi sur ce monde un regard neuf. Ce livre est un walkman filtrant pour nous les bruits d’un monde assourdissant.
Forums: Ma mère, musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977 au mouroir mémorial à Manhattan
Il n'y a pas encore de discussion autour de "Ma mère, musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977 au mouroir mémorial à Manhattan ".


haut de page