Échouage de Loïc Finaz

Échouage de Loïc Finaz

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Eric Eliès, le 15 août 2025 (Inscrit le 22 décembre 2011, 51 ans)
La note : 6 étoiles
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Le premier roman de Loic Finaz, officier de marine : une fiction maritime et romantique au charme subtilement suranné

« Echouage » est le premier roman de Loic Finaz, officier et aujourd'hui amiral dans la marine nationale après une carrière riche d'affectations embarquées (il a notamment commandé un aviso et une frégate anti sous-marine) et d'affectations à terre, à l’état-major de la marine ou en interarmées (il a notamment été directeur l’Ecole de Guerre, à l’Ecole militaire). Ce roman a été publié en 1995, année de ma propre entrée à l’Ecole navale. Certains de nos cadres instructeurs, officiers de la même promotion que Loïc Finaz (qui est entré à l’Ecole navale en 1983), nous avaient parlé de ce roman écrit par un de leurs camarades et nous avaient encouragés à l’acheter et le lire, ne serait-ce qu’à titre de soutien. De mémoire de ce qu'ils nous avaient dit, Loïc Finaz avait décidé de prendre la plume en réaction au livre de Robert Merle « Le jour ne se lève pas pour nous », paru en 1986, qui immergeait le lecteur dans la vie de sous-mariniers en patrouille. Loïc Finaz considérait que nul n’était mieux placé qu’un marin pour évoquer la marine mais le style de son premier ouvrage montre qu’il avait sans doute surtout l'ambition de ressusciter une tradition romanesque de marins écrivains (Pierre Loti, Henri Rivière, Claude Farrère, etc. pour ne citer que les plus connus ou en tout cas ceux qui me viennent spontanément à l’esprit) et non d'utiliser son expérience d'officier et de marin. On est à l'opposé d'un récit réaliste et le lecteur qui chercherait à mieux connaître la marine nationale en sera pour ses frais, voire risque même d'en avoir une idée fausse !

En effet, « Echouage », dont le titre peut sembler - d’autant plus de la part d’un marin ! - un brin provocateur, n’est pas un ouvrage décrivant de manière réaliste et documentée la vie ou les missions d’un équipage de la marine nationale. Peut-être par souci de ne pas s’attirer d’ennui en évoquant trop précisément les activités d’un navire militaire, Loïc Finaz a fait le choix d’une trame romanesque dans un univers fictif, qui ressemble fortement à l’Amérique du Sud, mais qui n’en est qu’un reflet très déformé. Ecrit à la première personne, il met en scène un jeune officier (enseigne de vaisseau, ce qui équivaut à lieutenant dans les deux autres armées) qui prend le commandement d’une unité et rallie la ville d’Echouage, port fluvial d’un territoire français ultramarin (qui ressemble vaguement à la Guyane), qui fait face à Pandore, grande ville du Parador, pays autrefois prospère grâce à l’industrie du caoutchouc et du bauxite mais aujourd’hui sur le déclin et agité par des troubles politiques qui menacent la stabilité régionale. A Echouage, le commandant attend les ordres, tandis que l'équipage du bateau, longtemps bloqué à quai, s’enlise dans un mélange malsain d’oisiveté et d’effervescence d’escale…

La trame politique, même si elle est déclinée avec minutie tout au long du roman, n’est toutefois qu’un élément de décor car le cœur du récit est le dilemme, qui lancine le narrateur, entre son amour de la mer et son amour d’une femme qu’il a quittée. Le narrateur, personnage solitaire et romantique qu’on croirait sorti d’un roman de Gracq (tel un lointain cousin d’Aldo, du rivage des Syrtes) ou de Buzzati, semble n’être pas vraiment à sa place sur le navire qu’il commande. D’ailleurs, son attitude générale n’est pas celle d’un officier de marine et j’ai parfois eu peine à croire que le livre ait réellement été écrit par un marin. L’intention de Loïc Finaz n’était certainement pas d’évoquer la marine nationale car le livre n’est ni réaliste ni même crédible tant ce jeune commandant multiplie les écarts et les fautes de commandement, frôlant parfois la démission ou la désertion dans sa volonté de solitude… En fait, en tant que témoignage sur la marine nationale et la vie à bord d’une unité, ce livre n’a aucune valeur. La marine nationale en est même singulièrement absente. Ainsi, le navire commandé par l’enseigne de vaisseau, sans doute un petit patrouilleur, est certes nommé (« Pégase », navire qui existe réellement dans la marine comme chasseur de mines) mais n’est jamais décrit : on sait juste qu’il est apte à traverser l’Atlantique (les premiers chapitres sont consacrés à cette navigation) et, à un moment, qu’il est armé de quelques canons. Beaucoup plus gênant, l’équipage n’est jamais évoqué, comme si le jeune commandant n’interagissait jamais avec les hommes qui servent à son bord : à part l’officier en second et l'officier de manoeuvre, les marins n’ont pas plus de densité que des ombres et le commandant, à la mer, ne semble vivre qu’entre sa chambre et la passerelle, comme s’il refusait de se mêler à la vie du bord. Enfin, la traversée de l’Atlantique n’est décrite que comme une longue navigation en suspens entre ciel et mer. L’auteur a pris soin d’insister sur son ressenti de marin, et a su trouver les mots pour exprimer poétiquement sa contemplation du ciel étoilé et des mouvements de la houle mais cette évocation de sa traversée de l’Atlantique pourrait tout aussi bien convenir à un capitaine de la marine marchande. En effet, à bord d’un navire de la marine, la navigation n’est qu’une activité de base et les activités militaires (conduite d’opérations, d’entraînements quotidiens, tâches de maintenance et d’entretien du navire, etc.) ne sont absolument pas mentionnées, comme si elles n’existaient pas.

Après cette longue traversée, le navire accoste à Echouage. S’en suit une longue période de désoeuvrement, mal meublée par quelques patrouilles et travaux hydrographiques. Alors qu’il désespère de quitter Echouage pour retrouver le large et éviter de se noyer dans les souvenirs qui le hantent et parfois le submergent (souvenirs de la femme aimée, souvenirs d’enfance, souvenirs d’escale, etc.), le commandant décide de traverser presque clandestinement le fleuve pour se rendre à Pandore, à la demande de son oncle (un riche oisif lettré) qui lui a fait part que des lettres de Stendhal, jamais lues, pourraient avoir été stockées dans les archives du consulat de Grèce. Sans vouloir déflorer l’intrigue, notre jeune héros va errer deux jours et deux nuits dans la ville, qui fut belle autrefois, éprouver la décrépitude de sa splendeur passée puis trouver le consulat où il va vivre une relation passionnée et sensuelle de plusieurs jours avec la plus belle femme de la ville, une aristocrate libérée qui succombe à ses charmes avec le consentement malicieux de son mari, consul de Grèce, bien plus âgé que sa très charmante épouse… A cet épisode, par moments assez grotesque, s’ajoute une mise en miroir du jeune commandant de la marine avec le jeune chef de la rébellion qui a pris les armes contre le régime de plus en plus dictatorial du Parador et tente de soulever la population en menant des actions depuis le fleuve. C’est l’occasion pour Loïc Finaz d’esquisser une réflexion sur l’autorité induite par la désignation d’une responsabilité de commandement et l’autorité naturelle que possède un chef charismatique.

Pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur qui voudrait découvrir le roman, je n’en dirai pas plus sur l’intrigue – à part qu’un héros qui coche toutes les cases de l’archétype du romantique solitaire ne peut qu’avoir un destin tragique. L’écriture est élégante et travaillée, parfois un peu trop comme si l’auteur avait voulu démontrer sa maîtrise stylistique, et avoue son intention de renouer avec le style des grands « héritiers » que j’évoquais plus haut. En fait, je ne peux m’empêcher de songer que ce roman est, non pas une tentative ratée de témoignage sur la marine nationale (au contraire, c’est un anti-témoignage car la marine nationale telle que décrite dans ce roman par Loïc Finaz n’existe pas !), mais une tentative plutôt réussie de ressusciter l’atmosphère d’un roman du 19ème siècle ou du début 20ème dans un décor de la fin du 20ème siècle (à une époque où internet, qui a révolutionné le lien entre les marins et leurs familles à terre, n’existait pas encore). Il en résulte un charme suranné, qui peut plaire mais décontenancera tous les marins d’active qui ne s’y reconnaîtront pas.

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