Les couleurs d'un hiver de Pierre Silvain

Les couleurs d'un hiver de Pierre Silvain

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Stavroguine, le 23 mai 2012 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 41 ans)
La note : 5 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (43 023ème position).
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Errances de l'art

C’est l’histoire d’un peintre, ou plutôt d’un apprenti, Anselme, qui prépare les couleurs desquelles un maître sans grand talent tire sa renommée. Un matin de novembre, Anselme quitte son atelier et s’en va rejoindre Simon, son ami d’enfance, fortuné, et qui vient d’ouvrir une galerie rue Notre-Dame-de-Lorette, à Paris, où il côtoie Géricault.

On ne sait pas trop ce qui pousse Anselme à partir. Une envie de gloire propre, de reconnaissance ? L’exaspération de stagner dans l’ombre d’un maître sans génie ? Le besoin de voir de ses propres yeux Le radeau de la Méduse après avoir lu les splendides descriptions du tableau écrites par Simon ? Ce qu’on sait, c’est qu’Anselme ressent un besoin irrépressible de partir, de prendre la route vers un ailleurs indéfini qui prend peu à peu la forme de Paris, presque par défaut, et in fine inutilement, comme si ce qui comptait, c’était avant tout de partir, peu importe où l’on va.

Pierre Silvain nous fait traverser la France du dix-neuvième siècle aux côtés d’Anselme, et parfois même dans sa tête, lorsqu’il fait fi de la chronologie et nous fait partager les souvenirs d’enfance de son personnage comme s’il les vivait avec nous, au moment même où on les lit. A travers ces souvenirs dans lesquels on se perd, on rencontre un jeune homme fasciné depuis sa plus tendre enfance par les couleurs et qui aurait voulu pouvoir les avaler pour les préserver à jamais, comme d’autres tentent de capter la lumière sur un film.

Il y a de la poésie dans ce livre, et surtout, il y a une âme. L’âme, peut-être, de Pierre Silvain, que je ne connaissais pas, mais dont ce roman, publié à titre posthume, sonne comme un testament littéraire. On l’imagine lui aussi en artiste méticuleux, fasciné par les mots, leur pureté et leur sens qu’il se refuse à trahir. Un amoureux des mots qui aura mené sa carrière d’écrivain dans un silence relatif. Anselme est un coloriste qui grandit dans l’ombre.

Les couleurs d’un hiver est un livre qu’on a envie d’aimer, un livre d’amoureux d’art, le livre d’un écrivain qui aurait peut-être voulu être peintre. Toutefois, il peine à captiver. Trop décousu, peut-être, lorsqu’il trimbale le lecteur d’avant en arrière sur le fil du temps sans lui donner la moindre indication. Un livre qui, paradoxalement, possède une profondeur certaine, mais un sujet maigre, au point qu’on aurait tendance (sûrement à tort) à le considérer comme une œuvre purement formelle, juste un joli tableau.

Or, la forme elle-même rendra une grande partie du livre désagréable. L’auteur prendra systématiquement plaisir à séparer son sujet du verbe. Chaque phrase est ainsi inutilement alourdie par une proposition dont le positionnement n’est justifié par rien et frôle l’erreur de syntaxe en même temps qu’il oblige le lecteur à systématiquement remonter la phrase pour en trouver l’origine. La conjugaison de cet effet de style et de la chronologie aléatoire nuit grandement au plaisir de lecture. C’est d’autant plus frustrant que lorsque, dans la dernière partie du livre, l’auteur cesse enfin de recourir à cet artifice, on suit avec intérêt la fin du trajet d’Anselme et on apprécie enfin toute la beauté de ce livre que, décidément, on regrette de ne pas pouvoir aimer de bout en bout.

On restera tout de même sensible au thème de l’errance, du départ, et surtout à ce monde vu à travers les yeux d’un esthète, qu’il soit peintre ou écrivain. Pierre Silvain nous décrit par petites touches un tableau vivant de la France du dix-neuvième siècle, avec la même minutie que celle dont Simon use pour livrer ses impressions sur le tableau de Géricault. On appréciera la beauté qui se dégage de certains passages, la musicalité des phrases, la précision des mots. Et tout ceci ne nous fera que regretter plus ardemment cette apparente volonté de compliquer certaines phrases à l’excès, jusqu’à les rendre inintelligibles.

Les couleurs d’un hiver est (presque) une estampe.

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Les éditions

  • Les couleurs d'un hiver [Texte imprimé], roman Pierre Sylvain
    de Silvain, Pierre
    Verdier
    ISBN : 9782864326090 ; 7,73 € ; 01/04/2010 ; 113 p. Broché
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Une âme, oui

9 étoiles

Critique de Provisette1 (, Inscrite le 7 mai 2013, 13 ans) - 2 décembre 2015

La lecture de la critique de Stavro vous offrant déjà "l'essence" de ce livre, je ne peux qu'appuyer ses propos lorsqu'il en évoque "l'âme", le livre "d'un amoureux de l'art", "une estampe"- une aquarelle pour moi.

Un départ, une quête, le chemin en recherche de beauté.

A lire absolument.

Forums: Les couleurs d'un hiver

  Sujets Messages Utilisateur Dernier message
  Trop jeune lecteur 8 Stavroguine 4 décembre 2015 @ 02:49

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