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Je ne résiste pas de présenter ici un extrait de ce livre délicieux.
Baudelaire souhaitait faire partie de l’Académie française. Il rendit une visite de courtoisie à l’un d’entre les Immortels.
Conversation entre Viennet et Baudelaire :
Viennet : - Asseyez-vous, Monsieur, et dites-moi ce qui vous amène.
Baudelaire : - Monsieur, je veux épargner vos instants. Je vais aller droit au but sans détour. C’est à l’académicien que je rends visite. Je nourris l’ambition de succéder au père Lacordaire dans le fauteuil qu’il laisse vacant.
( … )
- Comment vous nommez-vous, Monsieur, et qu’avez-vous fait ?
- Je m’appelle Charles Baudelaire. J’ai composé des vers et de la prose.
- Vous dites : « Charles Baudelaire « ? C’est curieux ! Je n’ai jamais vu ce nom-là imprimé quelque part. Vous avez fait des vers et de la prose ?
- Oui, Monsieur, je suis poète et prosateur !
- Et comme poète dans « quel genre faites-vous « ?
- Mon Dieu, Monsieur, « je fais « un peu dans tous les genres. J’ai composé des sonnets, des litanies, de stances , des hymnes, des petits poèmes descriptifs … Les genres sont innombrables. Cela dépend de l’inspiration. La poésie est universelle. A vrai dire, elle n’a point de genres limités, les possédant tous …
- Erreur ! Monsieur, erreur coupable ! En poésie, il ya cinq genres bien déterminés : la comédie, la tragédie, l’épopée, la satire et la poésie fugitive qui comprend la fable où j’excelle, tout le monde le sait, Monsieur !
- Cinq genres, Monsieur, cinq genres ! C’est bien peu. « Votre excellence « commet de graves omissions ! Qu’elle me permette de le lui faire observer. Elle oublie qu’il y a les grands genres et les petits genres secondaires avec une multitude de sous-genres …
- Monsieur ! …
- Dans les grands genres, il faut placer le genre épique dont Népomucène Lemercier est le souverain ; le genre tragique dont « Arbogast « est le chef-d‘œuvre ; le genre dramatique, le genre didactique …
- Monsieur ! Monsieur !
- Et dans les genres secondaires, il faut compter le genre comique, le genre pastoral, le genre élégiaque …
- Monsieur !
- Et le genre fugitif ou la poésie fugitive comprenant : l’énigme, le logogriphe, la charade, l’épigramme, le madrigal …
- Monsieur !
- Oui, Monsieur, que fait « Votre Excellence « du madrigal ? Et puis, il y a encore le sonnet, la ballade, le rondeau, le triolet …
- Monsieur !
- L’épithalame et l’épigraphe ! Quand à la fable, dans laquelle, je le reconnais volontiers, « Votre Excellence excelle « , j’en forme un genre à part en dépit de Boileau qui a méconnu et oublié Jean de La Fontaine et ses ancêtres …
- Monsieur ! Monsieur !
- A vrai dire cependant il serait préférable de classer la fable dans le genre didactique, dans le genre allégorique ou le genre comique, la fable étant à la fois apologue, une « comédie en cent actes divers « . Elle instruit, elle moralise, elle amuse. C’est un sous-genre incomparable, ( je ne parle pas des anciens et des étrangers ) dominé par trois maîtres incontestables : La Fontaine, Florian et Viennet.
- Monsieur ! Monsieur ! c’est trop !
- Et puis, il ya enfin, la poésie érotique, le genre profane, la poésie sacrée, la poésie patriotique ! Que fait « votre Excellence « de l’abbé de Bernis, de Boufflers, de Jean-Baptiste Rousseau, de Lefranc de Pompignan, de la « Marseillaise « et de la « Parisienne « ? Et par-dessus tout Monsieur, il y a le genre ennuyeux. Et dans ce genre-là, tous les poètes collaborent, vous, et moi aussi !
Sur l’envoi de cette dernière flèche de Parthe, Baudelaire se boutonne, accentue une profonde courbette en scandant cet adieu : « J’ai l’honneur de saluer Votre Excellence ! « .( …) Et il entend ces mots secs et décisifs : « - En voilà encore un qui n’aura pas la voix de « Monsieur » !
Baudelaire souhaitait faire partie de l’Académie française. Il rendit une visite de courtoisie à l’un d’entre les Immortels.
Conversation entre Viennet et Baudelaire :
Viennet : - Asseyez-vous, Monsieur, et dites-moi ce qui vous amène.
Baudelaire : - Monsieur, je veux épargner vos instants. Je vais aller droit au but sans détour. C’est à l’académicien que je rends visite. Je nourris l’ambition de succéder au père Lacordaire dans le fauteuil qu’il laisse vacant.
( … )
- Comment vous nommez-vous, Monsieur, et qu’avez-vous fait ?
- Je m’appelle Charles Baudelaire. J’ai composé des vers et de la prose.
- Vous dites : « Charles Baudelaire « ? C’est curieux ! Je n’ai jamais vu ce nom-là imprimé quelque part. Vous avez fait des vers et de la prose ?
- Oui, Monsieur, je suis poète et prosateur !
- Et comme poète dans « quel genre faites-vous « ?
- Mon Dieu, Monsieur, « je fais « un peu dans tous les genres. J’ai composé des sonnets, des litanies, de stances , des hymnes, des petits poèmes descriptifs … Les genres sont innombrables. Cela dépend de l’inspiration. La poésie est universelle. A vrai dire, elle n’a point de genres limités, les possédant tous …
- Erreur ! Monsieur, erreur coupable ! En poésie, il ya cinq genres bien déterminés : la comédie, la tragédie, l’épopée, la satire et la poésie fugitive qui comprend la fable où j’excelle, tout le monde le sait, Monsieur !
- Cinq genres, Monsieur, cinq genres ! C’est bien peu. « Votre excellence « commet de graves omissions ! Qu’elle me permette de le lui faire observer. Elle oublie qu’il y a les grands genres et les petits genres secondaires avec une multitude de sous-genres …
- Monsieur ! …
- Dans les grands genres, il faut placer le genre épique dont Népomucène Lemercier est le souverain ; le genre tragique dont « Arbogast « est le chef-d‘œuvre ; le genre dramatique, le genre didactique …
- Monsieur ! Monsieur !
- Et dans les genres secondaires, il faut compter le genre comique, le genre pastoral, le genre élégiaque …
- Monsieur !
- Et le genre fugitif ou la poésie fugitive comprenant : l’énigme, le logogriphe, la charade, l’épigramme, le madrigal …
- Monsieur !
- Oui, Monsieur, que fait « Votre Excellence « du madrigal ? Et puis, il y a encore le sonnet, la ballade, le rondeau, le triolet …
- Monsieur !
- L’épithalame et l’épigraphe ! Quand à la fable, dans laquelle, je le reconnais volontiers, « Votre Excellence excelle « , j’en forme un genre à part en dépit de Boileau qui a méconnu et oublié Jean de La Fontaine et ses ancêtres …
- Monsieur ! Monsieur !
- A vrai dire cependant il serait préférable de classer la fable dans le genre didactique, dans le genre allégorique ou le genre comique, la fable étant à la fois apologue, une « comédie en cent actes divers « . Elle instruit, elle moralise, elle amuse. C’est un sous-genre incomparable, ( je ne parle pas des anciens et des étrangers ) dominé par trois maîtres incontestables : La Fontaine, Florian et Viennet.
- Monsieur ! Monsieur ! c’est trop !
- Et puis, il ya enfin, la poésie érotique, le genre profane, la poésie sacrée, la poésie patriotique ! Que fait « votre Excellence « de l’abbé de Bernis, de Boufflers, de Jean-Baptiste Rousseau, de Lefranc de Pompignan, de la « Marseillaise « et de la « Parisienne « ? Et par-dessus tout Monsieur, il y a le genre ennuyeux. Et dans ce genre-là, tous les poètes collaborent, vous, et moi aussi !
Sur l’envoi de cette dernière flèche de Parthe, Baudelaire se boutonne, accentue une profonde courbette en scandant cet adieu : « J’ai l’honneur de saluer Votre Excellence ! « .( …) Et il entend ces mots secs et décisifs : « - En voilà encore un qui n’aura pas la voix de « Monsieur » !
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